Alger-Madrid : La crise risque de durer

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Si L’Espagne est en train d’émettre le vœu d’un retour rapide à la normale de ses relations avec l’Algérie, les autorités algériennes affichent, pour leur part, explicitement leur refus de satisfaire ce vœu en provenance du président
du gouvernement espagnol Pedro Sanchez.

Par Feriel Nourine
Bien plus, Alger se montre plus que jamais intransigeante face à l’attitude de Sanchez et rejette sèchement l’appel qu’il a formulé au retour de l’ambassadeur d’Algérie à Madrid. Ce dernier avait été rappelé le 19 mars, après le revirement spectaculaire du gouvernement espagnol dans le dossier du Sahara occidental et sa décision surprise de cautionner le plan d’autonomie fomenté par le Maroc à l’égard du peuple sahraoui.


Ce qui n’a pas empêché le même haut responsable de s’aventurer dans une maladroite tentative à l’adresse de l’Etat algérien en appelant à ce retour sans pour autant jugé utile, plutôt opportun et obligatoire, de corriger sa position face la question sahraouie. Il va même jusqu’à la confirmer.


«Nous espérons pouvoir résoudre ce problème diplomatique dans un court laps de temps», a-t-il déclaré à la chaîne TV espagnole Antena 3, ajoutant que «l’Espagne peut entretenir une relation positive et stratégique avec le Maroc et l’Algérie».


La coopération entre l’Espagne et l’Algérie ne se limite pas au secteur énergétique, mais porte également sur le domaine sécuritaire et le contrôle aux frontières, a-t-il dit, et en ces sens, «nous avons une coordination et une collaboration extraordinaires avec le gouvernement algérien», a-t-il soutenu.
Pour soutenir son revirement à l’égard du dossier du Sahara occidental, il arguera que «le Maroc est le troisième partenaire commercial de l’Espagne en dehors de l’Union européenne» et que «donc, avoir des relations stables et de confiance avec le Maroc est primordial pour l’Espagne».


La riposte de l’Algérie à la sortie du président du gouvernement espagnol ne s’est pas fait attendre. L’envoyé spécial chargé de la question du Sahara occidental et des pays du Maghreb au ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Amar Belani, a mis les points sur les «i» en déclarant que le retour de l’ambassadeur d’Algérie à Madrid «sera tranché souverainement par les autorités algériennes dans le cadre de clarifications préalables et franches pour reconstruire une confiance sérieusement abîmée sur la base de principes clairs, prévisibles et conformes au droit international».


«Une confiance sérieusement abîmée»
Comprendre que le haut responsable espagnol manque de franchise dans sa déclaration et qu’il se trompe de logique en considérant que la crise qu’il a provoqué avec l’Algérie peut se régler aussi rapidement qu’il tente de le faire croire. Bien au contraire, «ceux qui spéculent naïvement sur une colère passagère de l’Algérie ne sont pas en phase avec la réalité», a répondu M. Belani. Lequel n’hésitera pas à affirmer que les propos formulés par Sanchez devant le média de son pays l’ont été «avec une légèreté déconcertante, qui correspondent à la volonté de s’auto-absoudre de la lourde responsabilité personnelle dans l’adoption de ce surprenant revirement sur la question du Sahara occidental qui rompt avec la position d’équilibre traditionnelle de l’Espagne».


La réponse de M. Belani au chef du gouvernement espagnol est encore plus longue, et son contenu va diamétralement à l’opposé de la position de Sanchez. Celui-ci semble tenir à son positionnement aux côtés du Maroc dans le traitement de la question sahraouie, alors que la position de l’Algérie est bien connue sur ce terrain où aucune concession ne peut être accordée au détriment du peuple sahraoui.
Une obstination qui est déjà en train de coûter cher à l’Espagne à travers ses approvisionnements de gaz en provenance de l’Algérie que l’Etat algérien a décidé de reconsidérer en dépossédant ce gros acheteur des avantages dont il jouissait avant le tort causé à la lutte du peuple sahraouie par le revirement du chef du gouvernement espagnol. Outre la révision à la hausse des prix, d’ailleurs confirmée par la partie espagnole, Madrid craint que le tout frais accord signé entre l’Algérie et l’Italie pour le renforcement des livraisons gazière à ce partenaire historique ne donne lieu à des restrictions en la matière aux dépens de l’Espagne.


Cet accord, qui porte sur un supplément conséquent de 9 milliards de mètres cubes par an inquiète les hauts responsables espagnols, et des diplomates espagnols ont eu des négociations à ce sujet avec leurs homologues italiens.


De son côté, le journal espagnol El Mundo n’a pas laissé passez le rapprochement entre Sonatrach et son partenaire italien Eni sans mettre en avant ses lourdes conséquences pour l’Espagne.


Alors que des partis politiques, dont certains sont présents dans le gouvernement espagnol, des associations civiles et humanitaires ou encore le parlement du pays s’en sont pris à Pedro Sanchez, et ont condamné son revirement pour des raisons de principes universels défendus dans le cadre de l’ONU. El Mundo a, pour sa part, choisi la piste énergétique pour descendre en flamme le gouvernement de son pays qui, estime le journal, a causé au pays la perte de sa position de hub gazier du sud de l’Europe.


«L’Italie s’éloigne comme elle ne l’a jamais fait de l’Espagne en tant que grand partenaire européen de l’Algérie» en matière de gaz a écrit le quotidien qui compte le second tirage parmi la presse généraliste du pays.


Avec cet accord «colossal» et l’alliance énergétique entre les deux pays, l’Algérie «opte pour ce pays comme grand allié énergétique européen», a ajouté l’auteur de l’article, cité par l’APS, faisant remarquer que l’Espagne recevait de grandes quantités de gaz algérien, la prédestinant à devenir une grande plateforme de gaz pour l’Europe, fait remarquer El-Mundo. Cependant, a-t-il noté, au moment où le Premier ministre italien, Mario Dhraghi a «profité de la capacité supplémentaire limitée de l’Algérie d’augmenter ses ventes de gaz, l’Espagne perd ses positions comme hub du Sud de l’Europe pour approvisionner ses partenaires» du continent.
M. Draghi, poursuit l’article, «se démarque du président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, pour ce qui est de la question du Sahara occidental et réclame une solution respectant les droits du peuple sahraoui».


«M. Sanchez, par contre, ne peut être reçu à Alger avec tous les honneurs comme l’a été Draghi après son virage sur la question du Sahara occidental sans en informer son principal fournisseur de gaz, en pleine crise énergétique», note le quotidien. «Le gazoduc qui traverse le Maroc est fermé, le Transmed avec l’Italie se déclenche», conclut le journaliste El-Mundo, sans doute plus au courant des pertes que fait subir le changement de position de son gouvernement, notamment dans cette étape de guerre en Ukraine où les alliances dans le monde sont en train d’être reconfigurées en faisant du gaz une arme économico-diplomatique lourde. n

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