Reporters : Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé le président Tebboune vis-à-vis du rapport que vous avez réalisé pour le président Macron, sachant qu’il ne s’est pas exprimé publiquement sur son contenu ?
Benjamin Stora : Le président Tebboune savait qu’il recevait l’auteur du Rapport remis en janvier 2021, mais là, il s’agissait de la remise d’une lettre du Président Macron à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. La discussion n’a donc pas porté sur mon Rapport, mais sur la place de la colonisation dans l’histoire longue de l’Algérie. Il a insisté sur les massacres commis pendant la conquête coloniale, la dépossession foncière, l’installation d’une forte colonie de peuplement européenne, le rattachement administratif à la France. Il n’y a pas de comparaison possible avec les autres histoires coloniales, comme, par exemple, l’Indochine qui n’a pas connu une telle dépossession identitaire.
Vous avez été porteur d’un message de l’Elysée au président Tebboune. En quoi ce document pourrait-il être une nouvelle étape dans le processus de dégel des relations entre Alger et Paris après les mois de tension qu’elles ont connues ?
Ce message portait sur la suite nécessaire des relations entre les deux pays, visant, selon moi, au dépassement des différends qui ont pu surgir ces derniers mois. Le Président a proposé la constitution d’une structure de travail permettant aux historiens des deux rives de travailler pour fournir des documents permettant une plus large connaissance de cette histoire.
Outre le rapport que vous avez rédigé pour le président Macron, vous continuez à travailler au Conseil de l’Elysée sur les questions mémorielles. Quel est votre prochain dossier ou chantier dans ce domaine ?
Une précision. Je ne travaille pas dans « un conseil à l’Elysée », contrairement à ce qu’ont pu affirmer quelques essayistes français mal informés. J’ai rédigé un Rapport sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » à la demande du Président français. Bénévolement, comme universitaire qui travaille sur ces questions depuis une quarantaine d’années. Le chantier mémoriel qui s’ouvre, porté désormais par une commission « Mémoire et Vérité », traitera principalement des disparus de la guerre, des réparations autour des essais nucléaires, ou de l’entrée possible de Gisèle Halimi au Panthéon.
Vous êtes à l’origine de la stèle qui a été érigée à Amboise en hommage à l’émir et qui a été vandalisée. Comment faut-il interpréter cet acte ?
C’est un acte d’hostilité à tout rapprochement possible entre la France et l’Algérie. Egalement un acte contre la grande personnalité de l’Emir Abd el Kader. Ce n’est pas un secret de dire qu’en France existe de puissants lobbys qui se battent depuis des années pour tenter de falsifier l’histoire, par la valorisation du système colonial. Souvent composés d’anciens partisans de l’Algérie française, qui n’acceptent toujours pas la nécessaire décolonisation.
Reporters / Par Nordine azzouz