
Archive | Aït-Ahmed était le dernier survivant des neuf « fils de la Toussaint », les chefs qui ont déclenché la guerre d’Algérie le 1er novembre 1954. Le 8 janvier 1961, il y a soixante ans, le référendum d’autodétermination en Algérie allait ouvrir la voie à l’indépendance, réécoutons son témoignage.
« Je suis l’un des premiers maquisards de l’Algérie, puisque j’ai pris le maquis en 1945 et depuis 45, je n’ai pas retrouvé jusqu’à ce jour une vie normale en Algérie. » En 1989, à l’occasion d’un documentaire de Patrice Gélinet diffusé sur France Culture, Hocine Aït Ahmed témoignait des sources de son engagement en Algérie. En ce 60e anniversaire du référendum d’autodétermination en Algérie, qui ouvre la voie à l’indépendance du pays, réécoutons son récit et son analyse.
Le traumatisme de Sétif
Celui qui est devenu l’un des neuf chefs historiques de la révolution algérienne, membre fondateur du FLN, raconte la construction de son engagement, à partir de l’événement fondateur du massacre de Sétif. Le 8 mai 1945, des milliers d’Algériens sont réprimés dans le sang. Ce jour-là, sa vie bascule.
Hocine Aït Ahmed, 1989 : « J’ai quitté mes études au lendemain des événements de Sétif. La tragédie de Sétif a été tellement forte que personnellement, j’étais convaincu que penser à son avenir personnel, à sa carrière personnelle n’avait pas de sens. Le parti avait demandé des volontaires et j’ai quitté mes études en 1945. »
Les ferments de la conscience politique
Hocine Aït Ahmed, 1989 : « Pour nous, la présence des Européens était une très grande richesse aussi, compte non tenu évidemment de leur participation à la colonisation. Il y avait un exemple de démocratie qui s’organisait à côté de nous, dans la mesure où les Européens, eux, étaient des citoyens à part entière, notre statut de sujets éclatés, nous apparaissait insoutenable. Dans la mesure, également, où les Européens vivaient dans le luxe, notre misère à nous, nous apparaissait absolument insoutenable. Donc on a appris beaucoup de choses. On savait ce que c’était qu’un budget, on savait ce que c’était qu’une représentation parlementaire. On savait ce que c’était une gestion municipale… Ce que la plupart des pays arabes ignorent encore jusqu’à maintenant. Donc notre conscience politique s’est formée très rapidement et notre conscience révolutionnaire aussi, parce qu’on a appris de la résistance française, parce qu’on a appris aussi de la guerre d’Indochine. Tout cela nous était rendu possible parce que nous avions accès à la presse française. Je pense que le système colonial a été aussi malgré lui une ouverture sur le monde qui a permis de nous enrichir.
Pour moi, les Européens qui étaient en Algérie étaient des Algériens. J’ai tout le temps pensé que l’Algérie était formée de cette formidable et fabuleuse mosaïque ethnique. Et que le problème de l’avenir de l’Algérie pour nous à l’époque, était irréductible à une ethnie, une langue, un chef. Nous étions tellement opposés à l’hitlérisme, à la conception d’un chef, d’une ethnie, d’une langue que nous considérions, que l’organisation de la cité devait avoir pour base le pluralisme ethnique, le pluralisme linguistique, le pluralisme politique. »
Les premières actions
Alors que le noyau dur de la résistance s’organise, en 1949, Aït Ahmed et ses camarades attaquent la grande poste d’Oran.
Hocine Aït Ahmed, 1989 : « Comme nous n’avions pas d’armes, nous n’avions pas d’argent, nous avons été obligés de préparer un coup contre la poste d’Oran. J’ai organisé de A à Z cette attaque contre la poste d’Oran avec pour consigne stricte qu’il n’y ait pas d’effusion de sang. Il n’y a pas eu d’effusion de sang. Cette attaque nous avait rapporté une somme importante, quelques millions, mais elle aurait pu nous rapporter davantage si je n’avais pas donné de consignes strictes parce que le responsable de la poste avait refusé d’ouvrir le coffre. Eh bien, on n’a pas tiré. »
L’entrée en guerre
Après la scission du mouvement, Aït Ahmed et 8 autres figures de la lutte structurent le FLN et déclenchent les premiers événements de “La Guerre d’Algérie”, le 1er novembre 1954.
Hocine Aït Ahmed, 1989 : « Notre pari à nous n’était pas un pari sur la force militaire algérienne. C’était un pari sur la psychologie des Algériens, sur le fait que les Algériens, pendant des années, quand on les appelait pour voter, ils vous disaient : ‘Non, donnez-nous des armes. Le vote, ça ne sert à rien, de toute manière, les voix dans les élections sont truquées.’ Alors c’est que les esprits étaient préparés. C’était un pari de confiance dans la société algérienne. Ce pari était gagné grâce au peuple algérien, grâce à ce phénomène d’auto mobilisation extraordinaire qui a fait que la plupart des problèmes militaires, politiques, économiques, sociaux qui s’était posée à la société algérienne, au peuple algérien, n’a pas été réglée sur instruction des dirigeants, mais par les Algériens eux-mêmes. Je dirais qu’à force de responsabilité, le muscle est devenu cerveau. »
Dès l’indépendance du pays en 1962, Hocine Aït Ahmed rompt avec ses frères d’armes, devenant un opposant au régime qui avait pris le pouvoir. Exilé en Suisse, il meurt en 2015, à 89 ans. Ses funérailles rassemblant près d’un million de personnes en Algérie.
Par Camille Renard / Franceculture